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15 février 1917 - Ribécourt - Régiment d'Infanterie faisant la grand' halte sur la route de Ribécourt : distribution de la soupe.

#30.1

Pour tous ces hommes physiquement et moralement éprouvés,  manger, reprendre quelques forces sont essentiels. Après les déboires de l'année 1914, l'intendance militaire mit en place une logistique adaptée aux nouvelles conditions de la guerre. Ainsi des "popotes", des cuisines roulantes, lointaines ancêtres des "food trucks", sont mises à disposition des unités courant 1915. Elles étaient équipées de 4 marmites de 100 litres chacune, et permettaient de nourrir 250 hommes à la fois.  Une fois prête, il fallait encore acheminer la soupe vers les tranchées. Des hommes se chargeaient donc de grosses gamelles pour assurer  la corvée de soupe sur plusieurs kilomètres jusqu'aux premières lignes, un parcours dangereux où beaucoup de soldats laisseront leur vie. 

Les cuistots qui avaient en charge la préparation des repas avec les vivres fournis par l'intendance n'étaient pas des professionnels de la cuisine. Le manuel  prévoyait que ceux-ci soient désignés parmi les soldats robustes et propres et qui, autant que possible, avaient passé quelques temps dans les cuisines de garnison en qualité d'aide -cuisiniers. Les moyens étaient néanmoins rudimentaires, il fallait trouver de l'eau pas toujours très claire, du bois, nettoyer les ustensiles avec de la cendre ou des bouchons de paille ... La qualité, la fraîcheur et la variété des aliments n'étaient évidemment pas toujours de mise; le rata fait de viande bouillie avec quelques  légumes  mais surtout des fayots ou des pommes de terre, arrivait généralement froid dans les tranchées ... et il "était souvent plein de terre, nous ne le voyions pas, mais nous le sentions aux dents ; malgré cela on nettoyait le fond de la marmite."  

Sur cette photo, un groupe fait halte autour de la roulante ... les couvercles des marmites sont levées, de la vapeur s'en échappe ...Si un homme, au premier plan est déjà servi, les autres font la queue pour remplir leur "bouthéon", un récipient correspondant à la ration de quatre hommes.   

17 octobre 1916 - Plessier de Roye - Le château : dans les dépendances, cuisines de la légion étrangère.

#30.2

Si à l'époque, les légumes voyagent sans trop se gâter, il n'en est pas de même pour la viande. Dès lors, on l’amène sur pied au plus près des "roulantes".et on procède à l'abattage des bêtes sur place  comme on peut. Louis Ferdinand Céline rapporte l'une de ces scènes dans "voyage au bout de la nuit":

" C'était donc dans une prairie d'août qu'on distribuait toute la viande pour le régiment, - ombrée de cerisiers et brûlée déjà par la fin de l'été.
 Sur des sacs et des toiles de tentes largement étendues et sur l'herbe même, il y en avait pour des kilos et des kilos de tripes étalées, de gras en flocons jaunes et pâles, des moutons éventrés avec leurs organes en pagaïe, suintant en ruisselets ingénieux dans la verdure d'alentour, un bœuf entier sectionné en deux, pendu à l'arbre et sur lequel s'escrimaient encore en jurant les quatre bouchers du régiment pour lui tirer des morceaux d’abatis.
On s'engueulait ferme entre escouades à propos de graisses, et de rognons surtout, au milieu des mouches comme on en voit que dans ces moments-là importantes et musicales comme des petits oiseaux. "

Sur cette photo, dans la cuisine des Légionnaires, on s'apprête à débiter à la hache,  un beau morceau de carcasse. Tout nous parait assez sordide: le sol boueux, les bassines souillées, la planche à découper suspecte ... des pans de tissus crasseux pendant au dessus des tables ... Mais à la guerre comme à la guerre !  Civils des zones occupés comme militaires, doivent s'adapter aux circonstances ... On découvre de nouvelles recettes :  la chicorée à base de racines de pissenlit, la confiture de déchets de poires, comment cuisiner les pommes de terre gâtées, gelées ou pourries ... On invente de nouveaux procédés : comment enlever le goût de rance au lard,  le goût de moisi aux haricots, le goût de boîte aux conserves de légumes ou  son odeur repoussante à la viande de bouc ...

Et pour améliorer l'ordinaire, les soldats au front n'hésitèrent pas à se faire cueilleurs, chapardeurs, chasseurs ou pêcheurs !

Photos - Albums Valois -  Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (BDIC)