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25 juin 2018 - près de Mareuil en Brie - Campement d'évacués civils dans les champs.

#18.1

Si les soldats vont à la guerre; la guerre, elle, va au devant des civils ... Ils ne peuvent alors que fuir précipitamment.

Dès lors, sur les mêmes routes, se croisent dans un sens les troupes qui montent vers le front et dans l'autre, des familles perdues, épuisées trainant, poussant des équipages hétéroclites où sont entassés pêle-mêle les vestiges d'une vie laissée derrière eux. 

En quelques heures, leur existences basculèrent dans un dénuement absolu. La guerre leur a tout pris à l'exception de quelques vêtements et provisions dans un baluchon. Ce sont les victimes anonymes, "collatérales" de la guerre : les évacués, les sinistrés, les réfugiés, les exilés ...

D'une guerre à une autre, sous toutes les latitudes, qu'ils soient brûlés de soleil, ou raidis de froid, ils se ressemblent tous ... le pas lourd, les traits tirés, le regard inquiet, des larmes séchées aux yeux des enfants, des femmes échevelées au teint de cendres, des vieux et de vieilles recroquevillés marmonnant d'inaudibles prières, des hommes d'âge mûr soudainement brisés ... "séchés de soif, troués de faim"...  

Ainsi, dès août 1914, près d'un million de Belges fuirent devant les armées allemandes et trouvèrent refuge en France , en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas. Ils seront rapidement suivis sur les routes de l'exode par les populations du nord de la France envahi à son tour.

En octobre 1914, le préfet de la région Nord écrit dans un rapport au ministre de l'intérieur :

"Permettez-moi de vous exposer la navrante détresse des populations qui ont dû abandonner leurs demeures incendiées ou en ruines et qui vont de commune en commune, couchant dans les fossés, n’ayant d’autre nourriture que celle que les soldats partagent avec elles, d’autres vêtements que ceux qu’elles ont pu revêtir dans leur fuite hâtive. Déjà, il m’est revenu que des enfants ont été trouvés morts en plein champ, au pied de meules de paille où le froid et la faim les avaient saisis. "

En dépit de leur nombre toujours plus élevé, de la désorganisation ambiante, de la faiblesse des moyens mobilisables, l'état, des nombreuses associations philanthropiques tentèrent de leur venir en aide. Une circulaire précisait "le principe essentiel de l'assistance aux réfugiés sans ressources est que l'état français doit pourvoir, avec le concours patriotique des populations, à leur logement, à leur subsistance, et à leur entretien".  

Sur cette photo, sous une bâche trouée soutenue par quelques pieux, le tableau d'une vie d'infortune ... quelques poules grattent de la terre battue, la mère de famille ravaude des chaussettes; assis sur une pierre, l'enfant ne sourit pas... Un siècle plus tard, j'ai vu, aux portes de nos villes, des  scènes très ressemblantes à celle-là !

#18.2

Le visage froncé de rides, la mâchoire crispée, cette vieille femme et sa vache, sombres toutes deux comme leur avenir, semblent s'être échouées sur ce banc bordant un boulevard de la ville d'Amiens.

Telles sont-elles naufragées solitaires que les "orages d'acier" ont jeté là, au milieu de nulle part, sans armes ni bagages hormis un bâton de bouvier faisant aussi office de cane. 

Les hommes sont partis de la ferme laissant leurs champs et leurs bêtes aux femmes et aux anciens. Ils ont fait ce qu'ils ont pu, et voilà qu'après avoir pris les hommes, la guerre s'empare aussi de la ferme, des prés, des animaux, de la terre les forçant à partir !

Que leur reste-t-il ?  L'espoir d'un improbable retour ... Comment, quand, et en attendant ?  Ainsi vont les choses, pour elles et pour des dizaines de milliers d'autres en ces temps de guerre ?

Photos - Albums Valois -  Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (BDIC)